Par un coup de sérendipité, j'ai trouvé ces lignes suivantes. (J'ai voulu savoir ce que veut dire "d'ores et déjà" en anglais. Le GDT dit laconiquement "Aucune fiches pour d'ores et déjà". Incroyable n'est-ce pas? J'ai donc consulté le Google français). Je les trouve très bouleversantes parce que très vivantes. Je m'excuse d'avance de vo... See more Par un coup de sérendipité, j'ai trouvé ces lignes suivantes. (J'ai voulu savoir ce que veut dire "d'ores et déjà" en anglais. Le GDT dit laconiquement "Aucune fiches pour d'ores et déjà". Incroyable n'est-ce pas? J'ai donc consulté le Google français). Je les trouve très bouleversantes parce que très vivantes. Je m'excuse d'avance de vous déranger avec tout ça. Voir: http://www.rqasf.qc.ca/sp/sp08_05.html "D’ORES ET DÉJÀ La douleur d’être immobile par Anne-Marie Alonzo Poète, auteure et éditrice Handicapée quadriplégique à la suite d’un accident de voiture. Presque rien, une idée, un souffle, un geste interrompu et tout saute. Adieu bras, jambes, colonne vertébrale. Te voici intronisée. Dauphine de quatorze ans. Orpheline de corps. D’ores et déjà. Ceci est ton histoire. La vie, l’accident, l’immobilité. Point final. Brève histoire de mouvement, très courte histoire. Certaines diront : vivre ainsi n’est plus vivre. Certaines le diront et elles auront raison. Vivre handicapée n’est pas vivre, n’est pas une vie. Pas une vraie vie, une vie douce de toutes les douceurs inventées, une vie bonne et large, une vie souple et joyeuse, une grande vie. Vivre handicapée n’est pas vivre. Certaines le savent déjà. Entamée dans la douleur, par la douleur surtout, la vie handicapée essouffle, épuise, éreinte. Toute seconde exige le sang. Souffre et tu sauras ce que vivre veut dire. Souffre et tu seras graciée. Souffre encore sans jamais te plaindre ô toi femme, fille, fillette, jeune femme, épouse, amante, mère, grand-mère, arrière-grand-mère. Le mal est là, réel, puissant, fidèle, têtu, farouchement malsain. Le mal est là, courtisant sa proie, exigeant son dû. Et tu paies, chère petite, pour chaque seconde de plus, tu paies, tu souris, tu dis merci et tu continues. La vie c’est cela. La mort c’est aussi cela. Mais toi tu veux vivre, tu ne sais rien faire d’autre, tu veux vivre absolument, résolument, tu es forte dis-tu, tu tiens le coup, tu résistes, il n’y a pas que les bien-portants, il n’y a pas que les hommes, il n’y a pas que les autres, il y a ta guerre à toi, ta chaise électrique, ta chambre à gaz, ta salle de torture, ton camp de concentration privé, il y a ton calvaire et ton golgotha, ton chemin de croix taillé sur mesure, il y a ton apocalypse quotidienne et tu sais que tu pleures sur toi toute seule, tu pleures et tu ris sur toi puisque tu es seule, cette fois encore, à rire et à pleurer devant ce corps qui te lâche un peu mieux chaque jour, tu ris et tu crèves devant Dieu et devant les autres. Tu ne demandes rien, tu n’attends rien, tu te débrouilles, tu fais mieux que cela, tu te bats, tu te débats, tu fonces, tu griffes, tu déchires et tu cognes, tu n’es pas une victime dis-tu! Tu cries pour faire peur, tu craches, tu gifles, frapper ne te fait pas plus mal, le sang n’accentue pas tes blessures, la fièvre ne te donne pas moins de sueurs froides, tes poings ne sont pas moins douloureux. Tu es la douleur incarnée, crucifiée depuis les siècles des siècles. Tu ne tiens pas de journal de bord, tout est là, bien en vue, une chaise noir-et-chrome, un siège, un dossier, des appuie-bras, des appuie-pieds, un coussin gonflable, quatre roues motrices, un bras de conduite, six vitesses, un klaxon, deux moteurs (un pour les roues de gauche, un pour celles de droite), deux batteries douze volts, un insigne CAA... De quoi te plains-tu, ma reine, tu roules en carrosse, tu règnes sur un royaume – déchu soit mais royaume tout de même -, tu es ton seul sujet, tu te donnes des ordres de vivre, tu t’écoutes et tu t’obéis, tu essayes, tu t’acharnes, tu échoues, tu recommences, tu ne réussis pas à réussir, tu abdiques alors mais ton trône reste vide inoccupé, tu es élue à vie, personne ne tient à te succéder, non vraiment. Tu t’entêtes, tu déclines, tu dis : débrouillez-vous, ne m’obligez à rien, tu n’as plus la force de lutter, tu ne réponds plus au numéro que l’on a composé. Tu ne réponds de rien, ta patience a des limites, tes limites ont aussi des limites, tu te retiens de hurler la nuit de peur de mourir de douleur et tu meurs pourtant à chaque seconde qui passe, ton coeur sursaute, ton esprit s’agite, tes nerfs s’inquiètent, tes mains, tes doigts, tes pieds, tout ton corps frissonne. Tu as mal! Tu as mal, ton coeur, ton âme, ta chair, ton sang, tes os se figent, tu es morte depuis toujours, tu es morte! que l’on te mette en terre. Que l’on t’enterre, le reste suivra, les cris, les larmes et les grincements de dents, tu veux aussi savoir qui viendra à l’enterrement et, s’il y aura du monde. Ci-gît la femme-douleur-en-couleur, l’infâme motorisée, celle qui vécut de chantage et de roueries, celle qui nous fit marcher au doigt et à l’oeil, celle qui nous garda debout pour travailler, debout pour manger, debout pour fumer, debout pour bavarder, ci-gît le tyran-à-roulettes. Tu ne meurs pas pourtant. Tu vis sans vivre. Tu es handicapée. Seulement cela. Mais à choisir entre tous les handicaps possibles et à venir, aucun ne semble compatible à l’immobilité, aucun ne te sied aussi bien, aucun ne te rehausse autant le teint, aucun ne te moule autant la jambe ni ne met autant en valeur ton corps, tes bras, ta nuque ou ton port de tête. À tout prendre, tu prends ce qui t’est donné, à tout prendre tu prends tout. La chaise bien entendu et la douleur, la chaise et les blessures - aux pieds, aux fesses, au dos, aux coudes (on te nommera "la nouvelle Jésuse") - la chaise et les malaises, la chaise et l’inconfort, la chaise et la tristesse, la chaise et la terreur, la chaise et la douleur, la chaise et la folie. Quatre bonnes dépressions, trois tentatives de suicide, la drogue, l’alcool, le sexe, quelques crises d’autisme, un ulcère, des nausées, des vomissements, des infections de tous genres, une moyenne de cinq ans dans les hôpitaux, une moyenne de vingt ans en psychothérapie, d’innombrables appels à Tel-Aide, l’école, l’Université, les bars, les restaurants, la drague, les amies, les amours, les vacances, les voyages, le travail, la carrière. Tu n’as pas encore sombré." "Sans Préjudice... pour la santé des femmes - Édition spéciale- numéro 8 " Salutations, N.Raghavan ▲ Collapse | |