ALAIN COTE (X) Local time: 15:20 Japanese to French
Être traducteur et avoir la chance d'aller au bain public le lundi matin, c'est bien. Avoir un fils de 3 ans qui insiste pour aller au bain public le jeudi soir, lorsque vous allez le chercher à la garderie, c'est autre chose. J'ai réussi, grâce à une invention dont je conserve jalousement le secret, à enregistrer toutes ses pensées lorsqu'il se met à jouer au plus malin avec moi. Il s'agit d'une petite machine qui, en plus de capter toutes ses pensées, les traduit instantanément du ja... See more Être traducteur et avoir la chance d'aller au bain public le lundi matin, c'est bien. Avoir un fils de 3 ans qui insiste pour aller au bain public le jeudi soir, lorsque vous allez le chercher à la garderie, c'est autre chose. J'ai réussi, grâce à une invention dont je conserve jalousement le secret, à enregistrer toutes ses pensées lorsqu'il se met à jouer au plus malin avec moi. Il s'agit d'une petite machine qui, en plus de capter toutes ses pensées, les traduit instantanément du japonais au français. Voici ce que ça donne : (Jeudi, 17h32, garderie. Kôji, le petit rusé sans gêne, aperçoit par la grande fenêtre qui donne sur la cour la source mâle d'une bonne moitié de ses gènes.) Tiens donc, voilà mon porte-chromosomes qui s'approche, avec 2 minutes de retard, et qui sourit toujours aussi bêtement de son long visage blême... Quand il est à côté de moi, c'est bien simple, on dirait une grosse tranche de pain blanc et un petit biscuit au beurre ! Bon, le voilà qui entre dans la salle et me dit un tas de trucs dans sa drôle de langue. Moi, je pige un mot ici et là, mais les autres, ils le regardent d'un air attendri et se disent « Le pauvre monsieur, il a une infirmité à la bouche et ça fait toutes sortes de sons bizarres, comme moi quand je parle en me brossant les dents, mais sans les bulles ». Je crois bien que je vais lui faire encore une fois le coup du bain public. Évidemment, je vais choisir le plus gros. Pas parce qu'il est plus beau, mais parce qu'il est plus loin et qu'il y a un tas de voitures sur le chemin pour y aller. Ca me permet de jouer à compter les soupirs de papa dans les embouteillages. J'adore ça ! Quand il arrête de soupirer, je tourne le ressort de sa patience en lui lançant un « On arrive bientôt ? » toutes les 30 secondes, et c'est systématique, il se remet à expirer par le nez. Pour lui, le trajet est long, mais pour moi, ça passe très vite, puisque je peux compter ses soupirs (comme j'ai 3 ans, je compte dans l'ordre 1,2 3, 8, 5, 7... 2, 3, 6... 2, 3, 6... 2, 3, 6... avec pour résultat final que papa termine toujours le trajet avec 2, 3 ou 6 soupirs, et j'aime ça, ça me rassure d'arriver toujours à peu près au même résultat). Quand nous passons près du chemin de fer et que le train passe, je crie plusieurs fois « Bye bye, le train ! », de plus en plus fort, jusqu'à ce que papa le crie aussi. Quand le train ne passe pas, je demande à papa pourquoi le train ne passe pas. Il répond « Parce que », et je lui repose la question encore et encore, au moins 2, 3, 6 fois parce qu'il n'a pas le droit d'utiliser cette réponse. C'est trop facile. C'est une réponse de secours, ultra pratique, réservée aux enfants de 2, 3 ou 6 ans. Papa, il doit répondre quelque chose de plus long, d'assez long pour que je puisse avoir le temps de cesser d'écouter la réponse et de poser une autre question complètement différente. Sinon c'est pas juste, on s'ennuie et il faut recommencer le jeu des soupirs pour passer le temps dans la voiture. Au soupir numéro 6 de papa, nous arrivons dans le stationnement du bain public. Il y a un tas de voitures. Au moins 7, et peut-être même 4, je vous jure ! Dans le hall d'entrée, je prends tout mon temps pour ne pas enlever mes souliers, pendant que papa m'attend devant le casier avec ses souliers dans les mains et continue, tout seul, le jeu des soupirs. Comme c'est pas du jeu, j'enlève vite mes souliers, je les lance dans le casier après lui avoir demandé 6 fois pourquoi on prend ce casier-là, 4 fois pourquoi il faut mettre une pièce de 100 yens, 7 fois pourquoi on met d'abord les souliers de papa et ensuite les miens dans le casier, et 3 fois pourquoi le casier nous redonne la pièce de 100 yens. Pendant tout ce temps-là, papa, qui ne comprend jamais rien à rien et mélange tout, continue de répondre « Parce que » et de jouer aux soupirs même si la partie est finie depuis au moins 2, 3, ou 6 bonnes minutes. Nous arrivons prêt du comptoir. Là, il y a une grosse machine qui donne des tickets. Papa veut mettre de l'argent dans la machine, mais je hurle pour l'empêcher de faire ça, parce que c'est mon boulot. Il soupire, me prend dans ses bras et me fait monter jusqu'à la fente où on met les billets, puis il essaie de sortir son argent, mais il a juste 2 mains, et comme il lui en faut une pour me tenir et une autre pour tenir le porte-monnaie, il n'y arrive pas et se met encore à jouer au jeu des soupirs pendant que je gigote pour le distraire un peu, alors que les gens derrière nous sourient ou s'impatientent, je sais pas trop. Là ça y est. Je sais pas comment il a fait, mais l'argent est dans la fente et la machine l'avale en faisant des sons bizarres comme zaaa-zou-kwik. Papa me répète ensuite 6 fois qu'il faut que j'appuie sur CE BOUTON-LÀ, pas sur les autres. CE BOUTON-LÀ, c'est le bouton des tickets pour enfants, à moitié prix. Je trouve ça plutôt dingue, parce que moi, à 3 ans, il me semble que je coûte au proprio bien plus cher qu'un adulte quand l'envie me prend de faire pipi juste à côté du bain, de laisser couler l'eau chaude de la douche pendant 6 minutes, de vider 3 bouteilles de shampoing alors que papa a le dos tourné ou de bloquer le drain avec ma petite serviette. Enfin, c'est comme ça. C'est moins cher pour moi parce que j'occupe moins de mètres cubiques que papa avec ses grandes jambes, ses longs bras, son gros ventre et tous les autres morceaux « pendouillants » que la petite-machine-à-deviner-et-traduire-les-pensées ne traduit pas (la machine de papa est encore pire que ça, elle ne précise même pas si les morceaux « pendouillants » sont petits ou gros, tu parles d'une machine à la con !) Bon, là, nous arrivons au vestiaire. Il faut encore mettre 100 yens dans le casier. Je lui fais le coup du type désintéressé, qui a tout son temps, pour voir combien de fois il va me répéter que je dois enlever mes vêtements. Je fais la sourde oreille (et l'autre aussi, sinon ça marche pas j'entends quand même) et j'explore le vestiaire à quatre pattes, en me faufilant entre le monsieur d'à côté et son casier. Le monsieur regarde papa avec un drôle de sourire qui a l'air d'un sourire pas très drôle, papa m'attrape par la jambe, m'installe entre lui et le casier, m'enlève tous mes vêtements en essayant de se cacher le pendouillant de taille indéfinie avec la petite serviette dont il vous parlait l'autre jour, dans un jadis lointain, quand j'étais jeune et avais encore seulement 2 ans, tu parles, puis nous allons vers la douche et je repère bien les drains, les bouteilles de shampoing, les robinets d'eau chaude sans surveillance et, pour montrer à papa que je l'aime bien, je ne lui prends pas la main mais tire plutôt amicalement sur sa serviette toutes les 30 secondes pour exposer son pendouillant, parce que ça me donne une bonne raison d'éclater de rire et d'écouter l'écho de ma voix aiguë dans la grande salle des bains. À 3 ans, le bain public avec papa, c'est génial ! Surtout qu'après 5 super extra maxi longues minutes de détente dans l'eau, je suis prêt pour le tirer par la main de toutes mes forces et retourner à la maison, en comptant encore une fois les soupirs de papa, qui respire encore plus profondément, sans doute parce que notre sortie au bain l'a vraiment détendu...
[Edited at 2004-02-28 11:50] ▲ Collapse | | |