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Bonheur-du-jour sans fin
Thread poster: Jean-Luc Dumont
Jean-Marie Le Ray
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J comme... Jul 13, 2004

Thierry LOTTE wrote:


“Ilunga”

Le mot le plus difficile à traduire au monde ?...



En italien, "i lunga" (traduction : i long), c'est le J. D'ailleurs dans certains patronymes on trouve encore le j mais on le prononce i.

J comme ... Jean-Luc

Ciao, J...ean-Marie

P.S. Et en espagnol tu la prononces (danses...) comment la Jota ?


 
Jean-Luc Dumont
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Ilenamisuntemps et Attendstupeuxmelerefaire Jul 13, 2004

C'est la traduction que j'avance.

Thierry LOTTE wrote:

Le mot le plus difficile à traduire au monde ?
Ilunga. En tchiluba, langue parlée dans le sud-est de la république démocratique du Confo, cela désigne : “Une personne prète à pardonner un affront la première fois, à la tolérer une deuxième fois, mais jamais une troisième”.
Ce vocable arrive en tête d’une liste dressée par plus de mille linguistes, à l’initiative de l’agence Today Translations.



J'ai entendu l'interview à la BBC de la dame fondatrice de cette agence - exemple que l'on peut réussir dans la traduction. Cette liste est aussi un coup de pub puissance... je ne sais combien, vu le nombre de sites - dans toutes les langues, qui parlent de ce mot "ilunga".

Je me demande quels sont les critères de sélection. Et, en Tchiluba, ayant longuement étudié la question, je me demande comment l'on dit :
1) “Une personne prète [sic] (prêtre mais faut pas pousser quand même ?) à pardonner un affront la première fois, à la tolérer une deuxième fois, puis une troisième fois mais jamais une quatrième”.

2) “Le fait qu'une personne soit prête à pardonner un affront la première fois, à la tolérer une deuxième fois, mais jamais une troisième”.

JL



[Edited at 2004-07-13 17:20]


 
sarahl (X)
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Encore un E Jul 14, 2004

pour faire plaisir à notre franciscain préféré :
élucubrations (abracadabrantesques si on est écolo)


 
Jean-François Pineau
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Ramponneau Jul 14, 2004

Y m'a filé un ramponneau que v'me fuis pris la boîte à gants ouverte en plein dans l'râtelier. V'pourrai pas contribuer au fil sur la prononfiafion des mots v'étranvers…

Vièffe


 
sarahl (X)
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vinculation Jul 14, 2004

importé d'Espagne en France via Bruxelles (suivez mon regard EUropéen...)
sonorités bizarres et malaisées en français...


 
Jean-Luc Dumont
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Fieffé Fièffe Jul 15, 2004

Jef wrote:

Y m'a filé un ramponneau que v'me fuis pris la boîte à gants ouverte en plein dans l'râtelier. V'pourrai pas contribuer au fil sur la prononfiafion des mots v'étranvers…

Vièffe


F'est bien fe qui me fiffonne, fans être une fiffe-molle. Fi fa continue, fe fil fur les mots étranvers va f'effilocher et fa va pas tarder à fe fiffonner ferme et fenophobiquement, bêêêh, comme dirait Féfile. En fait, f'est pas vrai. F'est vuste pour te remerfier de nous rappeler de touvours conduire la boîte à gants fermée et pour tes vistoires de fiffons... F parce que moi f'est les dents du bas qui font tombées et felles du fond qui manquent le moins...

Zanhuque


[Edited at 2004-07-15 00:04]


 
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Sacré Jeffounet Jul 15, 2004

JLDSF wrote:

Jef wrote:

Y m'a filé un ramponneau que v'me fuis pris la boîte à gants ouverte en plein dans l'râtelier. V'pourrai pas contribuer au fil sur la prononfiafion des mots v'étranvers…

Vièffe



Zanhuque


[Edited at 2004-07-15 00:04]




C'est dur de s'agiter dans les cartons, on s'expose à de sales bugnes (bognes en suisse romand).

Tiens, le ramponneau façon Sankt'Anton:
http://jmaure.free.fr/liste/pages/62.html

Pauvre cornichon...

Bon, encore une recherche fortuite, mais intéressante...

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Z'ai bien envie d'en faire une mauvaise sur le prénom déformé plus haut, mais ze me retiens...

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Sarah, c'est quoi cette histoire de vinculation ? Je ne l'ai pas dans mon ami Robert et une seule occurrence sur google.fr (sur google francophone oui, mais cela n'éclaire pas ma lanterne...)

[Edited at 2004-07-15 07:43]


 
Jean-François Pineau
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Calembredaines Jul 15, 2004

Je ne dirai jamais : « trêve de calembredaines ». Je ferais quoi, après ?

Hélène Cheminal wrote:
C'est dur de s'agiter dans les cartons, on s'expose à de sales bugnes (bognes en suisse romand).

Les bugnes lyonnaises, je ne les refuse jamais, mais c'est 6 mois trop tard…

Hélène Cheminal wrote:
Z'ai bien envie d'en faire une mauvaise sur le prénom déformé plus haut, mais ze me retiens...

J'ai dans l'idée qu'elle va pas se retenir très longtemps, la belle LN.


 
Claire Bourneton-Gerlach
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encore une erreur de copié-collé.... Jul 15, 2004

Hélène Cheminal wrote:


Sarah, c'est quoi cette histoire de vinculation ? Je ne l'ai pas dans mon ami Robert et une seule occurrence sur google.fr (sur google francophone oui, mais cela n'éclaire pas ma lanterne...)

[Edited at 2004-07-15 07:43]



à mon humble avis de quaquinqua, c'est un joli mot-valise...


 
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la vinculation Jul 15, 2004

Hélène Cheminal wrote:

Sarah, c'est quoi cette histoire de vinculation ? Je ne l'ai pas dans mon ami Robert et une seule occurrence sur google.fr (sur google francophone oui, mais cela n'éclaire pas ma lanterne...)

[Edited at 2004-07-15 07:43]


la vinculation est d'abord apparue dans les textes
officiels made in Bruxelles, et puis en 2000 (ma dernière
année d'activité en France) on a entendu ce mot dans toutes
les conférences. Si j'ai bien compris c'est une histoire
de coordination/communication entre différentes entités.
Nos amis hispanophones pourront con ou infirmer.
Notre ami Roro va devoir ajouter des pages roses au centre,
pour l'eurojargon. Ou alors publier un dico euro/français.


 
Jean-Luc Dumont
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Éculé(e) Jul 15, 2004

dixit le dico : rare à l'actif, défraichi(e), usé(e) à force d'avoir servi.... Chaussure, blague ?

Hélène Cheminal wrote:


Z'ai bien envie d'en faire une mauvaise sur le prénom déformé plus haut, mais ze me retiens...


[Edited at 2004-07-15 07:43]


A pardon, sur le déformé, faussetment, je vois pas

Jean-Luc Les Mouches à Huis-Clos

[Edited at 2004-07-15 15:23]


 
Emmanuelle Riffault
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trop facile ! Jul 15, 2004

JLDSF wrote:
je me demande comment l'on dit :
1) “Une personne prète [sic] (prêtre mais faut pas pousser quand même ?) à pardonner un affront la première fois, à la tolérer une deuxième fois, puis une troisième fois mais jamais une quatrième”.


Un hyper-ilunga

JLDSF wrote:
2) “Le fait qu'une personne soit prête à pardonner un affront la première fois, à la tolérer une deuxième fois, mais jamais une troisième”.


Un hypo-ilunga

Ah, l'autre, il pose de ces question...


 
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acculturation Jul 15, 2004

terme d'anthropologie que je n'ai pas encore tout à
fait cerné. Théoriquement, on absorbe une culture dans
laquelle on est plongé comme une éponge (à moins qu'on
ait la réaction d'Archimède, et qu'on se sauve en courant.
Hmmm... Je demande à voir !


 
Thierry LOTTE
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Pour Sarahl Jul 15, 2004

Acculturation :

ACCULTURATION
Prise de vue
Formé à partir du latin ad, qui exprime le rapprochement, le terme acculturation a été proposé dès 1880 par les anthropologues nord-américains. Les Anglais lui préfèrent celui de cultural change (moins chargé de valeurs ethnocentriques liées à la colonisation : Malinowski), les Espagnols celui de transculturation (F. Ortiz), et les Français l’expression d’interpénétration des civilisations. Mais le vocable no
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Acculturation :

ACCULTURATION
Prise de vue
Formé à partir du latin ad, qui exprime le rapprochement, le terme acculturation a été proposé dès 1880 par les anthropologues nord-américains. Les Anglais lui préfèrent celui de cultural change (moins chargé de valeurs ethnocentriques liées à la colonisation : Malinowski), les Espagnols celui de transculturation (F. Ortiz), et les Français l’expression d’interpénétration des civilisations. Mais le vocable nord-américain finit par s’imposer.
Le mot acculturation a d’ailleurs été pris en deux sens différents. D’une part, en psychologie sociale, il désigne le processus d’apprentissage par lequel l’enfant reçoit la culture de l’ethnie ou du milieu auquel il appartient (il vaudrait mieux, pour éviter toute ambiguïté avec le second sens, appeler ce phénomène « enculturation », ou socialisation). D’autre part, en anthropologie culturelle, il désigne les phénomènes de contacts et d’interpénétration entre civilisations différentes (c’est le sens ici retenu).
Ainsi, l’acculturation est l’étude des processus qui se produisent lorsque deux cultures se trouvent en contact et agissent et réagissent l’une sur l’autre. Les principaux processus étudiés ont été ceux de conflits, d’ajustement et de syncrétisation, d’assimilation ou de contre-acculturation, qui peuvent être mis en rapport avec les processus sociologiques de compétition, d’adaptation et d’intégration, tout en étant parfois distincts. L’acculturation a été étudiée selon des points de vue différents ; ceux de l’anthropologie culturelle, de la psychologie sociale, de la sociologie ou anthropologie sociale. Aujourd’hui, les recherches tendent à se cantonner dans le domaine de l’acculturation planifiée.
Ce sont les historiens qui, les premiers, ont mis en lumière les phénomènes de contacts et d’interpénétrations des civilisations ; mais les historiens s’attachent aux faits, dans leurs singularités propres, sans aboutir à des concepts généraux, que seule la méthode comparative peut permettre d’élaborer. Malheureusement, la sociologie, qui aurait pu fournir cette conceptualisation, parce que née de la Révolution de 1789 et de l’avènement de la société industrielle, s’orientait alors dans d’autres voies ; il a fallu attendre la constitution d’une ethnologie scientifique pour qu’une théorie des contacts entre civilisations différentes puisse naître. À partir de F. Boas (1858-1942), puis de l’École des cercles culturels au début du XXe siècle, une grande place est donnée, dans cette science naissante, aux phénomènes de diffusion, c’est-à-dire aux passages d’un trait culturel (forme de flèche, thèmes de mythes, etc.) d’une culture à une autre. Mais la diffusion constate, après coup, ce qui résulte des échanges vécus ; restait encore à étudier ces échanges en tant que réalités « en train de se faire ». « Le contact culturel, écrit Fortes, ne doit pas être regardé comme le transfert d’un élément d’une culture à une autre, mais comme un processus continu d’interactions entre groupes de cultures différentes. » Le terme d’acculturation a été inventé justement pour désigner cet ensemble d’interactions réciproques, dans leurs déroulements et leurs effets. Le Memorandum de Redfield, Linton et Herskovits (1936) le définit comme l’« ensemble des phénomènes qui résultent du contact direct et continu entre des groupes d’individus de cultures différentes avec des changements subséquents dans les types culturels de l’un ou des autres groupes ». Ainsi, c’est l’anthropologie dite culturelle, valorisant la notion de « culture » au détriment de celle de « société », qui prend en charge dès le début l’étude des faits d’acculturation. De là un certain nombre de limites : l’absence de comparaison entre les données de l’histoire et celles de l’ethnographie – et, dans ce dernier domaine, la tendance à réduire les faits sociaux à de simples traits culturels qui peuvent être échangés, tout comme les valeurs, les techniques ou les mythes, au lieu de considérer ces faits sociaux pour ce qu’ils sont en réalité : les cadres à l’intérieur desquels les divers échanges se produisent.
Il faudra dépasser par conséquent les conclusions de l’anthropologie culturelle. Mais, en attendant ce dépassement, il faut bien reconnaître que, à partir d’une masse considérable d’observations et de monographies, sur la christianisation des indigènes, sur l’assimilation des peuples colonisés, sur les sociétés pluralistes, sur les effets d’intégration des minorités ethniques dans les nations en voie de développement, cette anthropologie culturelle – surtout à partir de 1930 – a su mettre en lumière un certain nombre de concepts, d’hypothèses, de méthodes de travail, qui constituent, encore aujourd’hui, la base théorique et pratique de toute recherche en ce domaine.

1. Histoire : la perspective culturaliste
Tentons de dégager brièvement cet apport. Il apparaît d’abord que les processus acculturatifs varient, mais que ces variations ne se font pas au hasard, que l’on peut dégager un certain nombre de types :
– suivant que l’acculturation a lieu entre sociétés globales ou entre certains groupes seulement des populations en contact, le groupe religieux, le groupe économique, etc. ;
– suivant qu’elle se fait dans l’amitié ou dans l’hostilité (acculturation demandée ou acculturation imposée) ;
– suivant que les populations en contact sont, démographiquement, à peu près égales en nombre, ou au contraire que l’une est majoritaire, l’autre minoritaire ;
– suivant que les cultures en contact sont, relativement, homogènes (dans les contacts en Afrique, par exemple, entre Yaruba et Fon) ou au contraire très éloignées, par leur esprit, les unes des autres (civilisation occidentale et civilisations traditionnelles) ;
– enfin, suivant le lieu où se produisent les contacts (les processus d’acculturation entre Blancs et Noirs seront différents dans la métropole, où le Noir est un « migrant », et dans la colonie, où le Noir est chez lui – ce qui permet de distinguer deux sens du mot « minoritaire », tous deux également employés dans la littérature contemporaine : un sens démographique, pour les migrants, et un sens culturel : les Noirs des anciennes colonies, bien que beaucoup plus nombreux que les Blancs vivant parmi eux, étaient pourtant considérés comme formant, dans cette dyade, le groupe minoritaire).
Mais il apparaissait aussi que, malgré ces variations, un certain nombre de constantes se dégageaient, que certaines séquences se répétaient dans les processus dynamiques, bref, que des concepts généraux pouvaient déjà être proposés. Il y a d’abord une période d’opposition de la culture native à la culture conquérante – puis, le contact se prolongeant, il y a sélection par la culture native des traits offerts par la culture conquérante ; certains traits sont acceptés et deviennent partie intégrante de la nouvelle culture en formation, alors que d’autres sont refusés ; bien entendu, les échanges ne sont pas forcément à voie unique, ils peuvent se faire dans les deux sens – nous avons alors formation d’une culture syncrétique, qu’on pourrait appeler aussi, culturellement parlant, métisse – les processus de changement, en se développant, peuvent conduire finalement aux phénomènes d’assimilation (disparition d’une culture, qui accepte intégralement les valeurs de l’autre, ce qui se produit en général dans le cas des populations migrantes, à la deuxième génération) ou, au contraire, à la contre-acculturation, lorsque la culture menacée de disparaître, dans un dernier sursaut, veut restaurer le mode de vie antérieur au contact (cas des messianismes, des cultes du Cargo, ou de la formation des idéologies de résistance, comme celle de la « négritude »).
De toutes ces étapes, c’est certainement la seconde, celle de la formation de cultures métisses ou de cultures en transition, qui a donné lieu au plus grand nombre de travaux et cela parce que l’anthropologie culturelle s’est développée au moment même où l’expansion de la culture occidentale faisait sentir son impact sur l’ensemble du monde, soit directement (par la colonisation, le développement des impérialismes commerciaux ou culturels, la facilité des voyages...), soit indirectement (à travers les livres, les mass media, etc.), et où les concepts les plus originaux ont été proposés, comme ceux de réinterprétation, de foyer culturel, de tendances culturelles.
On désigne du nom de réinterprétation « le processus par lequel d’anciennes significations sont attribuées à des éléments nouveaux ou par lequel de nouvelles valeurs changent la signification culturelle de formes anciennes » (Herskovits, 1952) : par exemple, les Noirs du Nouveau Monde ont réinterprété leur polygamie ancestrale, qui leur était interdite par la loi, en prenant simultanément une épouse légitime et une ou plusieurs « chéries », équivalant à l’épouse principale et aux épouses secondaires d’Afrique. Sous le nom de foyer culturel, on désigne le fait que les intérêts d’un peuple tendent à se concentrer sur un aspect déterminé de la culture, par exemple le buffle et les opérations laitières chez les Toda ou l’igname en Nouvelle-Calédonie ; contrairement à ce que l’on pourrait prévoir, la plus grande variation se trouve dans l’aspect d’une culture qui peut focaliser les intérêts d’un peuple, engendrer le conservatisme d’autres. La notion de tendance culturelles enfin, empruntée à la linguistique par Sapir, souligne que la sélection des traits de la culture donneuse par la culture preneuse se fait selon une direction déterminée, en suivant « la pente » que fixe la culture preneuse. Or tous ces phénomènes se retrouvent, sous une forme ou sous une autre, dans les cinq types opposés de contacts que nous avons distingués précédemment.
Naturellement, la théorie de l’acculturation a suivi les progrès, ou les changements de perspective, de l’anthropologie culturelle au cours de son histoire. Au début elle restait prise à la notion de « culture » comme réalité sui generis, extérieure et supérieure aux individus, considérée en quelque sorte comme un « superorganisme », obéissant à des lois propres. Mais la culture n’est qu’une abstraction ; ce ne sont donc pas des cultures qui se trouvent en contact, mais des individus en interaction, et chacun réagit différemment aux stimuli qui lui viennent des individus porteurs d’autres civilisations ; ainsi la perspective psychologique se glissait dans le culturalisme nord-américain et allait donner lieu à bien des travaux. Certains ont insisté sur la « personnalité de base » (Kardiner) ; aux première et deuxième générations, les changements de comportements restent à la superficie de la personnalité qui n’est pas touchée profondément, d’où ces phénomènes de réinterprétation du nouveau à travers l’ancien que nous avons signalés ; ce ne serait qu’à la troisième génération que la personnalité de base serait à son tour atteinte (Hallowell, 1952). D’autres, préoccupés par les questions pratiques (chercher les meilleurs agents de développements économique et social ou les gens les plus capables d’intégrer une ethnie minoritaire dans la culture nationale), se sont attachés à analyser les conduites réactives des hommes et des femmes (la femmes étant parfois un facteur de changement plus que l’homme), des diverses classes d’âge, des multiples catégories sociales (chaman, chefs politiques, commerçants, métis, etc.) ; ou à décrire la psychologie de l’homme partagé entre deux cultures qui se battent au-dedans de lui l’« homme marginal », Juif occidentalisé, Noir ayant subi l’empreinte de la civilisation anglo-saxonne, Indien « cholisé » (étude de Stonequist sur les chols du Mexique). La psychanalyse a permis d’approfondir cette pathologie de l’homme marginal, en montrant dans l’esclavage la dualité des pères, donc des « sur-moi » (le géniteur noir et le maître blanc) ou en insistant, dans le stade du miroir, sur la formation d’un « narcissisme blanc », entraînant une crise de l’identification chez le Noir américain.
Plus encore, l’anthropologie culturelle a été amenée, dans sa réélaboration du concept de culture, à abandonner le point de vue statique d’où elle était partie ; en fait, la culture est une « construction synchronique » qui s’élabore à tout instant, les individus et les groupes agissant et réagissant les uns par rapport aux autres, acceptant ou rejetant les nouvelles expériences, entrant en conflit ou s’adaptant pour vivre en harmonie, ce qui fait que les processus d’acculturation doivent toujours être saisis dans leur flux comme des ensembles de déculturation et de réorganisation culturelle (un peu comme à la même époque, en sociologie, G. Gurvitch critiquait la notion de structure pour lui substituer des faits de destructuration et de restructuration incessants). Les facteurs de déculturation peuvent dominer, et certains auteurs insistent surtout sur la pathologie de l’acculturation depuis les effets biologiques, signalés par Rivers dès 1922 (disparition de la joie de vivre, de la volonté même d’exister, thanatomanie), jusqu’aux effets sociologiques (Keesing, 1941, a montré par exemple les effets désorganisateurs de deux codes de conduite dans une situation acculturative où souvent le comportement imposé par la culture occidentale est considéré comme délinquance dans la société indigène, ou vice versa), en passant par les effets psychologiques (sentiment d’insécurité, anxiété, dépréciation de soi, etc.). Cependant deux cultures en présence peuvent coexister, sans s’interpénétrer : les Toda, peuple pasteur, les Badaga, agriculteurs, les Kota, artisans, et les Kurumba, vivant de cueillette et sorciers, vivent en contacts permanents dans la même région de l’Inde, alors qu’ils restent toujours séparés par la culture et la langue (Mandelbaum). Ou encore, le traditionnel et le moderne peuvent se partager sans qu’il y ait interférence ; Balandier nous rapportait le cas d’ethnies africaines qui vivent dans le passé quand elles cultivent leurs rizières et prennent la mentalité occidentale dans la rue de leurs villages ; nous avons parlé nous-mêmes d’un « principe de vivre, sans conflits, à la fois dans le monde africain (secteur religion des candomblés) et dans le monde occidental (secteur économico-politique des partis, des syndicats, de la profession, Bastide, 1960).
Étudiant les problèmes des contacts entre les Juifs occidentaux et les Juifs yéménites dans la formation de l’État d’Israël, c’est-à-dire entre deux groupes ayant des orientations spatiales et temporelles différentes (l’un ayant une conception discontinue de l’espace, divisé en famille, voisinage, etc., et l’autre une conception continue, le premier vivant dans un temps mathématique, le second dans un temps sacré), Eisenstadt (1949) montre qu’il n’y a pas eu victoire d’un système sur un autre, mais, pour le Yéménite manifestations variées d’une discontinuité de la perception, les événements religieux continuant à être vécus selon l’orientation sacrale et les événements économiques selon l’orientation de la culture israélienne moderne.
Le principe de coupure apporte donc une solution qui permet d’éviter la déculturalisation. Mais mieux encore : à côté des phénomènes pathologiques et des coexistences, Bernett et Linton ont montré que les processus acculturatifs enveloppent des actes de créativité de la part des individus ou des groupes qui acquièrent de nouveaux éléments culturels. C’est-à-dire que la culture nouvelle qui se développe ne peut pas être considérée – tout comme à l’époque où l’on avait une conception statique de la culture – comme un ensemble de traits disparates qui s’ajoutent les uns aux autres, en « mosaïque » de traits anciens et de traits nouveaux empruntés, il faut parler, au contraire, de synthèses vivantes, d’apparition de traits culturels inédits ; Malinowski notait déjà que la famille bantoue en Afrique du Sud n’est ni la famille bantoue traditionnelle, ni la famille chrétienne occidentale, ni une simple synthèse des deux, mais une véritable création culturelle qu’il faut étudier comme une réalité originale. Linton parle, empruntant son expression au botaniste De Vries, de « mutation », c’est-à-dire apparition d’espèces entièrement nouvelles par le métissage des cultures en interpénétration.
La substitution du point de vue dynamique au point de vue statique dans le développement de l’anthropologie culturelle entraîne encore une autre conséquence, celle de la distinction entre les effets primaires et les effets secondaires. Car tout se tient dans une civilisation, et la modification d’un de ses éléments entraîne, comme par une réaction en chaîne, des transformations dans d’autres éléments qui n’ont pas cependant subi directement l’influence du contact. Une culture touchée sur un point, donc en déséquilibre va tendre à rétablir l’équilibre défait en changeant d’autres secteurs pour les adapter à la modification déséquilibrante. Il suffit par exemple de changer les formes de production, les techniques de travail, pour que, en cercles concentriques, ce changement se répercute à l’organisation de la famille, aux relations de prestige ou de pouvoir, aux valeurs religieuses. On connaît bien là la distinction marxiste entre infra et superstructures, et les effets que ne manque pas d’avoir sur les bouleversements des superstructures toute révolution opérée dans les infrastructures – et cela à l’intérieur de la culture, par sa seule dynamique interne, sans que le « contact » intervienne partout. Mais, déjà avec le marxisme, nous sommes passés de la perspective « culturaliste » à la perspective « sociologique » qui va maintenant nous arrêter.
2. Situation actuelle du problème : la perspective sociologique
Malgré tous ces progrès, le « culturalisme » nord-américain ne pouvait satisfaire les esprits européens, et l’apport de l’Europe (l’Europe de la sociologie ou de l’anthropologie sociale tournée vers l’anthropologie culturelle) à la clarification des problèmes de l’acculturation nous paraît considérable : il ne tend à rien de moins qu’à une révision de tout le système théorique élaboré en grande partie d’abord en Amérique.
Certes, il est indéniable que le culturel et le social peuvent se dissocier, et nous comprenons bien le point de vue américain, car ces dissociations ont été découvertes surtout dans les ethnies indiennes ; certaines d’entre elles sont complètement désorganisées, destructurées, cependant les individus conservent jalousement et maintiennent – sur la ruine de leurs systèmes sociaux détruits par l’arrivée des Blancs – les valeurs culturelles et leurs systèmes de pensée dans leur intégrité primitive. D’autres tribus au contraire ont perdu leurs systèmes anciens de valeur, ont adopté ceux des Blancs (sous l’influence surtout des missionnaires catholiques ou protestants) sans que leurs systèmes économiques, politiques et sociaux se soient désorganisés ; les normes de la vie communautaire résistent aux efforts déployés pour intégrer les Indiens aux nouveaux systèmes économiques, aux partis nationaux, à une société de type capitaliste et à famille nucléaire. Ces faits incontestables dépendent cependant, en dernière analyse, des situations dans lesquelles les contacts s’établissent, et avec l’apparition de cette nouvelle variable, les situations sociales de contact, la sociologie va rompre le cercle enchanté du culturalisme. Balandier en France, Gluckman en Angleterre, en parlant de la situation coloniale, n’ont pas été sans doute les premiers à employer l’expression et à souligner le fait ; on la trouve chez Herskovits et nous avons noté que le type des relations, amicales ou hostiles, était une des variables données dans le Memorandum – mais ce n’était qu’une « variable », alors que Balandier ou Gluckman vont en faire le ressort dernier d’explication : « Quand, procédant de manière unilatérale, elle [l’anthropologie culturelle] décèle les processus de changement par rapport au seul fonds traditionnel [ou « primitif »], elle ne peut guère que les énumérer et les classer ; de même, lorsqu’elle se limite à l’étude du « contact » entre « institutions » de même nature... » (Balandier, 1963). Et, abordant alors les notions de « situation » et de « phénomène social total », ce sociologue conclut : « Dans le cas de l’Afrique noire, société noire et société blanche participent à un même ensemble [c’est nous qui soulignons]. Le contact et ses effets ne peuvent être compris qu’à la condition d’être replacés dans des « ensembles », c’est-à-dire dans les totalités sociales qui les encadrent, les orientent et les unifient ».
En même temps que l’anthropologie culturelle établissait la série ordonnée de ces concepts, depuis le conflit jusqu’à l’assimilation, la sociologie nord-américaine (qui est partie du relationnisme allemand et n’a découvert Durkheim que bien après) établissait à son tour une série de concepts qui se trouvent être – dans le domaine de la société au lieu de l’être dans celui de la culture – parallèles aux premiers : ceux de compétition, d’accommodation et d’intégration sociales. La compétition entre les groupes peut être écologique (c’est-à-dire la lutte pour l’espace, qui est forcément, par ses racines biologiques, libre et non contrôlée), économique (avec la lutte des entreprises capitalistes ou, dans une même entreprise, entre employeurs et employés) ou sociale et morale (qui est sanctionnée, elle, par le groupe dominant). L’accommodation définit le processus par lequel les individus ou les groupes s’ajustent à une situation de conflit, par exemple par l’institutionnalisation de la ségrégation raciale, ou le régime des castes, ou encore la réglementation de la division du travail social ; mais l’accommodation ne peut porter que sur des ajustements externes. L’intégration consiste, par le métissage entre les races, par un système unique d’éducation, ou par d’autres mesures (comme l’aide aux groupes déshérités), à forger, avec des ethnies ou des groupes différents, une nation commune à tous. Il apparaît clairement que la compétition joue, pour les interrelations entre groupes, le même rôle que le conflit, la résistance, la contre-acculturation pour les contacts culturels ; l’accommodation rejoint le syncrétisme, et l’intégration nous évoque l’assimilation culturelle. Cependant la sociologie nord-américaine tend à séparer nettement les deux ordres de phénomènes ; l’intégration, en effet, peut – et même doit – se réaliser en conservant la diversité des mentalités culturelles, il s’agit seulement de faire en sorte qu’elles contribuent toutes à des fins communes : la prospérité et la grandeur de la nation. Les Mexicains, par exemple, dans leurs programmes indigénistes, s’éfforcent d’intégrer les Indiens à la communauté nationale, sans détruire cependant pour cela leurs cultures spécifiques, et en respectant les coutumes locales (Beltrán, 1957).
Une pareille dichotomie est-elle possible ? Qu’il existe une dialectique entre le culturel et le social, cela est évident, et l’on peut voir les deux séries de phénomènes se séparer parfois ; il n’en reste pas moins qu’il y a dialectique et que l’intégration, par exemple, postule une assimilation préalable ou, si elle n’existe pas encore, conduit à une homogénéisation des mentalités forgées par les cultures différentes en contact. L’accommodation conduit à des échanges culturels et à un certain syncrétisme ; la ligne des couleurs ou la séparation des « castes » aux États-Unis n’a pas empêché l’acculturation progressive du Noir et son acceptation des valeurs anglo-saxonnes ; mais, en même temps qu’il s’assimilait, il se voyait repoussé, d’où sa volonté de conserver des valeurs qui lui soient propres ; l’accommodation aboutissait ainsi à ces faits de syncrétisme et de réinterprétation signalés plus haut. Mais, dans cette dialectique, comme on le voit, le social joue le plus souvent le rôle de facteur causant (bien que le contraire puisse être parfois vrai ; R. Bastide, 1960). C’est sur cette constatation que s’est développée la perspective sociologique des phénomènes d’acculturation, qui se refuse à séparer ce qui est uni, et envisage les contacts de civilisation comme des « phénomènes sociaux totaux ».
Il n’y a jamais en effet, nous l’avons dit, des cultures en contact, mais des individus, porteurs de cultures différentes ; cependant ces individus ne sont pas des êtres indépendants, ils sont en interrelation dans des réseaux complexes de communication, de domination-subordination, ou d’échanges égalitaires ; ils appartiennent à des institutions, qui ont des règles d’action, des normes, et une organisation. Ce qui fait que les interpénétrations des deux civilisations en présence suivent les réseaux de ces interrelations, ou ceux des rapports entre les institutions. Le tout est plus important que les parties et c’est lui qui les détermine. Nous n’avons donc pas, dans les études d’acculturation, à faire, comme on procédait autrefois, d’abord une description des deux civilisations avant le contact (le fameux « point zéro » critiqué par Malinowski), puis à voir ce qui se passe quand elles se rencontrent. Nous n’avons jamais d’autre objet d’étude que des sociétés complexes, pluriethniques, et ce sont ces sociétés que nous devons analyser avec leurs diverses formes de sociabilité. Les incompatibilités culturelles supposent les conflits sous-jacents des groupes ou des races et les phénomènes culturels sont conditionnés par ces derniers. Pour ne prendre comme exemple que la situation « coloniale », étudiée par Georges Balandier, nous nous trouvons en présence d’un « tout » où il n’y a pas abstraitement les uns en face des autres, des Noirs et des Blancs avec leurs cultures propres, mais uniquement des systèmes de relations sociologiques entre des citadins et des ruraux, des prolétaires et des bourgeois, des évolués et des masses de couleurs, d’ethnies, de sexes et de générations différentes : « Chacune de ces fractions participe de manière différente à la société globale. Le contact de races et de civilisations qu’impose la colonisation n’a ni la même signification, ni les mêmes incidences, pour chacune d’elles ; il doit être étudié en fonction de cette diversité » (Balandier, 1963). C’est ce que nous proposerions d’appeler « les cadres sociaux de l’acculturation ».
Bien que le point de vue que nous venons de proposer soit primitivement et essentiellement celui d’écoles européennes, sociologie française ou anthropologie sociale anglaise, il faut noter en terminant que, par suite de l’évolution rapide de notre monde (formation d’États modernes avec problèmes d’intégration et de développement économique et social dans les sociétés multiraciales, décolonisation et création d’États indépendants), les Nord-Américains sont amenés de plus en plus à introduire dans leurs conceptions de l’acculturation des faits politiques (comme les nationalismes) ou économiques (comme l’industrialisation), bref, à replacer les faits d’acculturation de plus en plus dans des cadres sociaux, nationaux et internationaux. Et cela d’autant plus que ce que l’on appelle le « développement » ne peut se confondre avec la simple « croissance économique » ; il postule une acculturation avec les normes et les valeurs de la société occidentale, mais volontaire maintenant et non plus imposée du dehors par un groupe de domination. Ce qui se traduit parfois par un changement de vocabulaire, la substitution au terme d’acculturation, qui paraissait trop lié à l’ancien colonialisme et trop ethnocentrique, de celui de rencontre entre deux « modèles », le modèle occidental (le moderne) et le modèle ancien indigène (la tradition), le passage donc d’une causalité externe (imposition de la colonisation) à une causalité interne (choix du modèle occidental par les gouvernants), tandis que le syncrétisme est défini désormais comme un effort d’adaptation de l’ancien à l’occidentalisme. Un certain consensus tend donc à se réaliser sur les meilleures manières d’aborder les faits d’acculturation.
3. L’acculturation contrôlée et planifiée
Eaton a introduit le concept d’acculturation contrôlée dans son étude sur la secte religieuse des huttérites aux États-Unis (1952) qui veut maintenir sa culture paysanne archaïque, qui est cependant obligée de tenir compte du nouveau milieu anglo-saxon où elle s’est réfugiée, mais qui ne laisse passer des influences extérieures que ce qui ne porte pas préjudice aux valeurs fondamentales du groupe. Si l’expression est récente, en réalité toute acculturation est plus ou moins dirigée, orientée et manipulée par l’un des deux groupes en présence, ou par des membres des deux groupes. Si on avait pu parler jadis d’une acculturation libre, c’est que le point de vue ancien, culturaliste, négligeait justement les aspects sociologiques, et particulièrement politiques, des phénomènes, comme leurs aspects psychologiques, dans la concurrence des pouvoirs et des prestiges. Aussi bien dans le contact entre tribus voisines (les Fon vainqueurs prenant les dieux des Yoruba vaincus pour se les attacher) que dans les rapports entre l’Occident et les prétendus « primitifs » (comme dans le cas des missions jésuitiques chez les Guarani), il y a toujours eu une stratégie de l’acculturation, soit que l’on s’efforce de maintenir les anciennes cultures natives (diviser pour régner), soit qu’au contraire on essaie de les assimiler, ce qui suppose leur dé-culturalisation préalable (par l’école, l’Église, etc.). Ce qu’il faut dire, c’est que – en l’absence d’une science sociale valable – l’acculturation contrôlée restait empirique, que les « projets » acculturatifs se soldaient alors par des échecs, faute de dominer les diverses variables en jeu, négligeant ainsi les possibilités incessantes de nouvelles créations totalement imprévisibles.
Mais nous sommes au siècle de la planification. L’acculturation va, de simplement contrôlée, devenir planifiée et rationnellement orientée. Cette constatation a une grande importance, d’abord pour une sociologie de la connaissance ; elle révèle que les sciences sociales, dans leur évolution théorique, suivent de très près les exigences ou les intérêts des grandes nations, à l’intérieur desquelles elles se forgent. Elles restent tributaires, inconsciemment du moins, de notre ethnocentrisme. L’anthropologie culturelle, en repoussant toute hiérarchie des cultures (les cultures sont différentes, mais il n’y a pas de cultures supérieures et inférieures), manifestait la réaction des États-Unis au colonialisme européen ; elle tendra même, de plus en plus, à substituer à la notion de « fertilisation » par les échanges culturels les descriptions des phénomènes pathologiques qui en seraient les conséquences obligatoires (dans une certaine mesure, tendance dirigée aussi contre la politique des services indigénistes des États-Unis qui voulaient assimiler les Indiens des réserves, après une époque de relative tolérance et de ségrégation des indigènes). L’anthropologie sociale, à partir de Malinowski, se met au service de la colonisation ; il s’agit de constituer une science des faits d’interprétation des civilisations, pour que la colonisation « réussisse » et que les administrateurs impériaux ne commettent plus les erreurs du passé. La sociologie française ne s’intéressera au problème qu’après la Seconde Guerre mondiale, en relation avec la politique de décolonisation, dont elle n’est que le pressentiment ou le premier reflet. L’acculturation planifiée apparaît avec la formation d’États indépendants en Asie, Océanie et Afrique, et avec la concurrence des divers impérialismes, soit économiques, soit idéologiques, autour de ces nouveaux États. Elle consiste : 1. à faire prendre en charge l’acculturation dans le seul sens de l’occidentalisation par les gouvernements des pays récemment apparus sur la carte du monde ; 2. à se servir des théories scientifiques en vue d’intérêts qui restent par trop ambigus ; c’est pourquoi, comme nous l’avons dit, un nouveau vocabulaire est inventé (développement se substituant à acculturation), et le consensus se réalise sur la primauté de la perspective sociologique (plus particulièrement économico-politique).
D’un autre côté, l’acculturation planifiée présente un grand intérêt du point de vue méthodologique, puisqu’elle constitue une espèce d’expérience in vivo, et que nous soumettons les hypothèses tirées des faits d’observation (anciennes données des ethnographes sur les divers phénomènes acculturatifs) à la vérification expérimentale. On fait varier un phénomène, considéré comme « dominateur », ou on le supprime, ou on le réalise (les trois méthodes classiques de variations concomitantes, d’absence et de présence, de Stuart Mill), pour observer les effets qui vont se produire, en suivant le processus de changement tout au long de son cours, et en « évaluant » les résultats terminaux. Seulement, le facteur « dominateur » hypothétique n’était pas le même dans les systèmes de planification mis au point à l’Ouest et à l’Est. L’acculturation planifiée de l’Ouest valorise le culturel et, par conséquent, les notions d’adaptation (des traditions natives aux valeurs modernes), de maturation (les changements réussiront d’autant mieux qu’on leur laissera du temps, il ne faut pas forcer la nature) et de fonction (toute institution culturelle remplit une fonction, on ne peut donc la remplacer par une autre, jugée supérieure parce qu’occidentale, que si cette dernière remplit la même fonction). La stratégie consiste à utiliser deux postulats de la théorie de l’anthropologie culturelle : 1. toute culture est composée d’un ensemble de traits culturels ; ces traits sont liés ensemble par des réseaux d’action et de réaction réciproques ; 2. le culturel domine le social, par conséquent toute modification des institutions, des structures, des comportements sera vaine, si on n’a pas modifié au préalable le système des valeurs, ou, si l’on préfère, si les mentalités n’ont pas bougé elles aussi. De là toute une série d’actions, qu’il serait trop long d’énumérer, mais qui, en gros, consistent à changer un seul trait (par exemple les habitudes alimentaires), en sachant que, par les réseaux d’interconnexion des faits culturels, une réaction en chaîne se produira, mais que les experts pourront surveiller ; à agir d’abord sur les mentalités, à travers l’alphabétisation des adultes ou des enfants ; ou à faire naître des besoins nouveaux, que l’ancienne culture ne connaissait pas, par exemple en introduisant la monnaie et en jetant sur le marché des biens inconnus ; enfin, pour éviter les réactions xénophobes, à choisir dans chaque communauté à « acculturer » des leaders que l’on « acculturera » pour que ce soient des membres de l’in-group et non de l’out-group qui se fassent les défenseurs, à l’intérieur de la forteresse culturelle à abattre, du changement et de l’occidentalisation (et qui d’ailleurs sont seuls capables de trouver les meilleurs moyens d’adaptation pour éviter les crises).
Dans les anciennes républiques socialistes, l’acculturation (qui n’osait pas dire son nom) reposait sur les deux postulats suivants : 1. la distinction marxiste entre l’infra et la superstructure ; il suffira de changer les modes de production pour que, automatiquement, les systèmes culturels changent ou que les anciennes cultures se transforment en simples « faits folkloriques » qui ne présentent plus dès lors aucun danger ; 2. puisque ces œuvres culturelles dépendent, en dernière analyse, des modes de production issus des conflits politiques qui se placent sur le plan de la force et de la révolution (lutte contre le féodalisme, les confréries religieuses bouddhistes, etc.), il y aura tout de même un autre choc, sur le seul plan culturel, entre les cultures des pays socialistes et les cultures des pays environnants ou, pour employer les expressions consacrées, entre la « culture prolétarienne » et les diverses « cultures nationales ». On connaît la phrase de Lénine qui résume la dialectique idéale entre ces deux types de cultures : « La culture prolétarienne n’abolit pas la culture nationale, elle lui donne un contenu ; et, inversement, la culture nationale n’abolit pas la culture prolétarienne, elle lui donne une forme. » Mais il s’agissait ici encore d’un programme d’action préalable, en vue de s’appuyer, dans la révolution, sur les idéologies nationalistes, en maintenant les valeurs nationales comme coloris, en quelque sorte, de la culture prolétarienne extérieure et envahissante.
Nous possédons de nombreuses monographies, déjà, de ces processus actuels d’acculturation. Le problème qui se pose est de savoir si, sous leur opposition, les mêmes phénomènes ne se retrouvent pas. Il est évident que les objectifs russes en Asie (industrialisation, sédentarisation des nomades, transformation de la structure sociale par la substitution aux anciennes élites d’élites nouvelles, changement de statut de la femme et unification de l’enseignement) sont des objectifs qui ne peuvent être compris que par une volonté d’introduire les valeurs de la culture occidentale dans des cultures différentes. Ces cultures résisteront ; sans doute le vocabulaire soviétique a-t-il différé de celui de l’anthropologie culturelle ; l’opposition, par exemple, s’appelait lutte des classes ; mais sous ces variations terminologiques, nous retrouvons les mêmes processus décrits au début de cet article : opposition, syncrétisme, réinterprétation, métissage culturel, assimilation et contre-acculturation. Par exemple, l’imposition des kolkhoz comme nouvelle structure de la société et de la production n’a pas entraîné la disparition de l’ancienne structure lignagère en Asie centrale ; les lignages se sont reformés en kolkhoz endogamiques (kolkhoz nains) et quand, dans une nouvelle étape, les Soviets ont voulu briser avec cette forme, considérée par eux comme non rationnelle et antiproductive, alors les kolkhoz ont tendu à se former en suivant la ligne des clans (réinterprétation ; Bennigsen, 1959, Tiersunbeav, 1958). L’assimilation s’est révélée plus facile dans les territoires du Nord, qui avaient une culture plus simple et ont absorbé plus facilement les innovations techniques, que dans l’Asie centrale, riche de traditions complexes et bien charpentées, d’où, dans cette dernière région, le syncrétisme entre l’ancien (la position de la belle-sœur, les tabous des systèmes de parenté traditionnels, certains éléments de la culture matérielle, etc.) et le nouveau (l’alphabétisation de la femme, son introduction dans l’usine, son égalisation politique avec l’homme, Académie des sciences, U.R.S.S., 1967), etc. Il n’est pas jusqu’à certains raffinements contemporains des théories de l’anthropologie culturelle, comme la distinction de Redfield entre la grande et la petite tradition (great and little traditions) ou celle de Dunn entre les aspects publics et privés de la culture, qui ne se retrouvent dans cette acculturation orientée et manipulée du dehors ; ainsi, dans le domaine religieux, la petite tradition qui était largement préislamique continua à se faire sentir et même à dominer, dans la mesure où la propagande athée de la Russie affaiblissait l’islam qui s’était superposé à ces « petites » traditions, cependant toujours pratiquées dans le cercle de la famille, particulièrement par le groupe féminin (S. P. Dunn et E. Dunn, 1962). D’une façon générale, et à l’intérieur même de l’idéologie soviétique, une coupure s’était établie entre les aspects économiques (infrastructures) et les aspects culturels (superstructures) qui restaient, eux, inaccessibles à l’acculturation dirigée et contrôlée, ce qui nous fait retrouver un autre concept de l’anthropologie culturelle (le retard culturel, cultural lag), faussant « la loi du développement social » marxiste (les changements de l’infrastructure entraînent automatiquement des changements dans les superstructures) ; il faudrait donc la corriger en distinguant dans les superstructures les aspects institutionnels (où la loi serait valable) et les aspects idéologiques (où le culturel se séparerait du social, pour vivre d’une vie indépendante). En somme, les mêmes phénomènes se retrouvent dans les divers types d’acculturation planifiée, il suffit de récrire la description de ces phénomènes, qui sont donnés dans l’ethnologie russe en termes d’évolutionnisme, dans le langage courant de l’anthropologie anglo-saxonne, pour se rendre
compte de l’identité des faits, sous la différence des concepts.
Cette identité n’a rien pour nous surprendre. D’abord parce que s’il existe un déterminisme social, ce déterminisme est partout le même, par définition. En second lieu parce que toute acculturation planifiée part de l’idée de la supériorité de certaines valeurs occidentales – du moins dans les domaines technique et économique, souvent aussi politique – et qu’elle suppose, en conséquence, l’imposition de ces valeurs par le groupe au pouvoir (que ce groupe soit extérieur ou intérieur à l’ethnie considérée). Mais la création des nations indépendantes, libres de leur destin, a, dans la perspective sociologique à l’intérieur de laquelle nous nous sommes placés, une importance considérable, car elle va permettre de faire prédominer les phénomènes d’adaptation sur les phénomènes de tension. On en a de bons exemples en Afrique, où la « négritude » (c’est-à-dire la volonté de maintenir les traditions africaines à l’intérieur des processus acculturatifs) cessa de prendre la forme polémique qu’elle avait chez Césaire pour prendre la forme syncrétique qu’elle connut chez Senghor. Ce que l’on a appelé « le socialisme africain », qui voulait être un socialisme « communautaire » en opposition au socialisme « sociétaire » de l’Occident, est une tentative pour mouler les apports d’une culture (européenne) selon le paideuma d’autres cultures (africaines). Nous n’avons pas encore assez de recul pour juger de cette tentative, il nous suffit de signaler qu’elle ne va pas, elle non plus, contre la conceptualisation classique des problèmes d’acculturation.
L’acculturation planifiée, politiquement orientée par les groupes dominants, est la loi générale de notre époque. Cependant l’acculturation libre subsiste encore en quelques points du globe, où il existe des populations dites « sauvages », en dehors des contacts culturels continus, et qui vont rencontrer des populations blanches envahissant leurs territoires, ainsi en Amazonie. Il est nécessaire de considérer un de ces cas, pour voir si l’inverse de ce que nous venons de dire ne se justifie pas, c’est-à-dire qu’après avoir montré que l’acculturation planifiée retrouve les concepts anciens de l’époque où elle ne l’était pas, il reste à montrer que l’acculturation libre est déjà une acculturation planifiée (mais par un groupe d’intérêts, et non un groupe national).
La société tribale Tukuna est en opposition à la société nationale brésilienne qui l’environne, historiquement et structurellement ; une opposition qui n’est pas seulement de contraires, mais de contradictoires, c’est-à-dire que l’existence de l’une tend à nier celle de l’autre. Les cabocles (sang-mêlés brésiliens) qui viennent s’installer dans l’aire Tukuna commencent par distribuer des cadeaux en échange des terres, ou plus exactement du droit de vivre sur les terres avoisinantes : ainsi ils créent chez les Indiens de nouveaux besoins qui ne peuvent être satisfaits par la culture locale – de cette façon s’incorpore la notion de « valeur de troc » pour des biens qui n’avaient d’autre valeur jusque-là que d’usage – ce qui forcera peu à peu l’indigène à « troquer » la seule chose dont il est vraiment propriétaire, son corps (main-d’œuvre pour l’homme, travaux domestiques et sexuels pour la femme), contre les objets étrangers ; le système monétaire qui est alors assumé, comme intermédiaire entre le travail (salaire) et la satisfaction des besoins (achats), permet, en endettant l’Indien, de le soumettre à un demi-esclavage définitif. Une nouvelle structure sociale apparaît alors, où les diverses institutions tribales (la moitié, le clan, le système des parentés), maintenues par les plus vieux forment une totalité syncrétique avec les institutions des Blancs, acceptées par les fils des unions interethniques qui, autrement, ne pourraient qu’artificiellement, dans une société patrilinéaire, acquérir un statut clanique. Cette « caboclisation » à son tour entraîne la perte des valeurs mystiques qui fondaient l’organisation sociale traditionnelle Tukuna. Nous voyons donc qu’on ne peut analyser les phénomènes d’acculturation, même libre, sans décrire d’abord les structures de pouvoir (économique ou politique), et que les faits culturels s’insèrent dans un processus de nature sociologique, qui retire à la société indigène toute son autonomie ; les phénomènes d’interaction culturelle non planifiée entre Indiens et Blancs doivent donc, pour être compris, être situés dans un ensemble mouvant de conduites, soit paternalistes, soit agressives, c’est-à-dire à travers une ethnologie reposant en dernière analyse sur une sociologie structurale et dynamique (R. Cardoso de Oliveira, 1964).
Tandis que, d’un côté, l’exemple emprunté aux planifications russes nous montre la valeur de la conceptualisation de l’anthropologie culturelle à travers la sociologie du développement, de l’autre, l’exemple des Tukuna nous montre que cette conceptualisation, même dans le cas d’acculturation non planifiée, ne peut avoir de valeur explicative qu’à la condition d’être liée aux cadres sociaux dans lesquels se fait le contact. La tâche de l’anthropologie contemporaine, en ce domaine, est donc de distinguer les divers types de dialectiques pouvant s’instaurer entre les contacts culturels et les contacts sociaux, entre les interpénétrations des civilisations et les intégrations des ethnies en des ensembles nationaux.

Chouette non ?

Malheureusement je ne suis pas l'auter de ce texte.
Il vient de l"Encyclopedia Universalis".




[Edited at 2004-07-15 23:39]
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Thierry LOTTE
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Mom mot du jour : "paillarder" Jul 15, 2004

Paillarder : faire l'Amour.

Probablement de "paille", par allusion aux amours rustiques.

Définition donnée par Robert Merle (mon héro actuel).


 
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